Quelle étrange animal que le Jeu de Rôle (JDR), de plus en plus connu sous son appellation d’origine contrôlée anglo-saxonne : Role-Playing Game (RPG). Mais y a-t-il fondamentalement une différence entre les deux, au fond ? Le mot RPG gène moins, car il est moins compréhensible. La France a un problème avec le Jeu de Rôle, contrairement aux USA, sa terre natale.
Ne parlons-nous pas ici d’un divertissement dangereux, sectaire, pouvant pousser au meurtre ou au suicide ? C’est du moins l’image véhiculée par les médias et que l’on voudrait bien nous faire gober. On voudrait bien que le grand public ait peur du JDR. Et la grande question est : « Pourquoi » ? Pourquoi devrions-nous avoir peur du JDR ? Pourquoi craindre ces groupes de gens assis autour d’une table en train de lancer en l’air des dés bizarres et étrangement décorés, en train d’échanger des propos pour le moins abscons au sujet d’orques, de trolls, de démons, de « donj’ », de « PJ », de « Pex » et autres niveaux à atteindre ? Pourquoi prendre un grippe un divertissement, un jeu, car il faut bien le rappeler aussi, tout ceci n’est qu’un jeu, pourquoi stigmatiser les amateurs de JDR (tout de même plus d’un million d’actifs en France, ce qui n’est pas si mal quand on y pense) ?
Mais la raison est assez simple au fond : il faut bien craindre quelque chose. Si les médias n’arrivaient pas à nous faire peur, ils ne vendraient pas la moindre feuille ! Disons-le franchement. Demandons-nous pourquoi les ventes de quotidien explosent-elles lorsque les Unes couvrent des événements horribles tels que : attentats, meurtres en série, catastrophe naturelle. Ce qui fait vendre, c’est la peur. Alors, le JDR est bien pratique pour effrayer. Extérieurement, cette activité peut paraître hermétique, je n’en disconviens pas. Mais en réalité, est-ce qu’un seul de ces journalistes s’est vraiment investi en assistant ou mieux encore, en participant à une vraie partie de JDR. Ah bien sûr, il faudrait se motiver, en se disant qu’on va être assis autour d’une table pendant cinq à huit heures, manger sur le pouce et accepter de se remettre en cause. C’est peut-être beaucoup demander en même temps. Ce ne sont jamais que des journalistes, il ne faut pas exagérer quand même…
Comment ? Le JDR se joue autour d’une table ? Mais oui, parfaitement, le VRAI JDR (pas celui dont parle la TV) ça se joue autour d’une table, entre amis, ce n’est pas costumé et on ne part pas la nuit errer dans la forêt habillé comme des gros soldats médiévaux. Vous ne saviez pas ? Cela n’est pas vraiment étonnant lorsque le moindre reportage qui se dit sérieux sur le JDR vous explique que les Rôlistes (c’est comme ça qu’on appelle un joueur de JDR) sont des gothiques allumés, mal dans leur peau, avec des tendances suicidaires et des pulsions meurtrières.
Déjà, il ne faut confondre le JDR sur table (le JDR originel, inventé aux USA vers 1970 avec le jeu Donjons & Dragons) et le JDR Grandeur Nature (ou plus simplement GN). Ce style de JDR, qui englobe lui-même plusieurs catégories que j’évoquerai dans un prochain article, se distingue du premier par une réelle simulation des actions des Personnages-Joueurs (PJ). Chaque joueur incarne un personnage et le fait évoluer, à la façon d’une pièce de théâtre et déambule tantôt dans un appartement, tantôt dans un château loué pour l’occasion, tantôt dans une forêt, oui, ça existe aussi. Ces GN, s’ils sont bien organisés par des personnes responsables, ne sont pas plus dangereux qu’une belotte en famille le dimanche après-midi devant Derrick ou Drucker (deux ‘D’ avec plein de ‘R’ et de ‘K’, vous avez notés ?)… Finalement tout est affaire de responsabilités. Toute activité collective se doit d’être bien encadré, moralement et juridiquement.
Aucune affaire liée de près ou de loin au JDR n’avait en réalité quelque chose avoir avec lui. Les tombes profanées, les professeurs poignardés, les suicides, toutes ces tristes affaires ont surtout un dénominateur commun : un mal-être adolescent. Et ce mal-être est normal. Bon sang, tous les ados sont passés par là. L’adolescence est sans doute une des pires périodes de la vie. Nous quittons le monde cocoonée de l’enfance et nous entrons dans l’âge adulte, mais on ne nous reconnaît pas le titre d’adulte (à raison d’ailleurs). On se cherche, on se découvre, on se trouve. Et les plus perturbés commettent des actes irréparables. Mais ce n’est pas le JDR qui les a perturbé. Ils l’étaient déjà avant. Mais ce type de divertissement ne les a sans doute pas aidé à se structurer, comme les films d’horreur dits « pour ados » n’aident pas franchement à se construire non plus…
Arrêtons de stigmatiser le JDR, ce n’est pas lui le coupable. Les grands responsables de ces dérives adolescentes sont également des parents dépassés, parfois irresponsables, souvent ne comprenant plus leurs enfants. Mais je ne veux pas non plus les blâmer. Les adolescents eux-mêmes ont leur part de responsabilité dans tout cela. On cesse d’être adolescent pour devenir adulte le jour où l’on apprend à se responsabiliser. Ça n’a rien de simple, mais il faut bien en passer par là. Si le JDR est un vecteur de trouble, c’est aussi un merveilleux outil d’apprentissage, pour se découvrir soi-même, apprendre à prendre la parole en public, apprendre à se remettre en cause, à s’extirper de sa coquille et se révéler au grand jour. Le JDR a permis à plus d’une personne de s’épanouir dans sa vie professionnelle ou personnelle.
C’est pourquoi je le clame haut de fort : Amis rôlistes, défendez votre loisir, protégez-le, empêchez qu’on en dise du mal, expliquez son fonctionnement. Si vous aimez jouer au Jeu de Rôle, pourquoi devrait-on vous blâmer pour cela ?